• « Voilà l'"économie communiste de marché », par Alain Supiot

    <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName ProductID="la Cour" w:st="on">La Cour</st1:PersonName> de justice européenne détient une part essentielle du pouvoir législatif dans l'Union. A la différence de nos juridictions, elle statue pour l'avenir par disposition générale et à l'égard de tous, comme la loi elle-même. Par deux arrêts, capitaux pour le devenir de "l'Europe sociale", elle vient de trancher la question de savoir si les syndicats ont le droit d'agir contre des entreprises qui utilisent les libertés économiques garanties par le traité de Rome pour abaisser les salaires ou les conditions de travail.

    Dans l'affaire Viking, une compagnie finlandaise de navigation souhaitait faire passer l'un de ses ferrys sous pavillon de complaisance estonien, afin de le soustraire à la convention collective finlandaise. L'affaire Laval concernait une société de construction lettonne, qui employait en Suède des salariés lettons et refusait d'adhérer à la convention collective suédoise. Dans les deux cas, les syndicats avaient recouru à la grève pour obtenir le respect de ces conventions, et <st1:PersonName ProductID="la Cour" w:st="on">la Cour</st1:PersonName> était interrogée sur la licéité de ces grèves.

    Le droit de grève étant explicitement exclu du champ des compétences sociales communautaires, un juge européen respectueux de la lettre des traités se serait déclaré incompétent. Mais <st1:PersonName ProductID="la Cour" w:st="on">la Cour</st1:PersonName> juge depuis longtemps que rien en droit interne ne doit échapper à l'empire des libertés économiques dont elle est la gardienne. Elle s'est donc reconnue compétente. L'arrêt Laval interdit aux syndicats d'agir contre les entreprises qui refusent d'appliquer à leurs salariés détachés dans un autre pays les conventions collectives applicables dans ce pays. Au motif qu'une directive de 1996 accorde à ces salariés une protection sociale minimale, <st1:PersonName ProductID="la Cour" w:st="on">la Cour</st1:PersonName> décide qu'une action collective visant à obtenir, non pas seulement le respect de ce minimum, mais l'égalité de traitement avec les travailleurs de cet Etat, constitue une entrave injustifiée à la libre prestation de services.

     

    http://www.lemonde.fr/archives/article/2008/01/24/voila-l-economie-communiste-de-marche-par-alain-supiot_1003152_0.html


  • Commentaires

    1
    gillard
    Dimanche 3 Février 2008 à 15:39
    Voici l’économie néo-conservatrice de marché
    Dans une « Opinion » récente (Le Monde, 25 janvier), Alain Supiot, juriste et directeur de l’Institut d’études avancées de Nantes, prétend éclairer « le cours pris par la globalisation » à l’aide de la « notion d’allure baroque » d’« économie communiste de marché » — un « système hybride » prétendument fondé sur « le pire du capitalisme et le pire du communisme ». Ce spécialiste du droit du travail, membre de l’Institut universitaire de France, ajoute très sérieusement que le succès actuel des idées néolibérales « doit moins [...] aux théories économiques, qu’à la conversion de l’Europe de l’Est et de la Chine à l’économie de marché ». Un peu comme si les dirigeants des pays capitalistes avaient attendu cette conversion pour mettre les principes d’une économie néolibérale en œuvre en Occident, et pour commencer à y démanteler les politiques sociales distributives propres aux États-providence. Un tel aveuglement résulterait-il d’une double méconnaissance — celle d’une étape capitale de l’histoire économique contemporaine combinée à celle de la nature même du néolibéralisme ? Quoi qu’il en soit, les dirigeants occidentaux n’ont pas attendu le ralliement de ces pays à l’économie de marché pour lancer la leur dans la voie du néolibéralisme. Opposé au keynésianisme, Friedrich « Hayek crée, en avril 1947, la “Société du Mont Pèlerin” [...], association destinée à défendre et à diffuser les idées libérales », tandis que « la “Bible” du libéralisme moderne » — les trois volumes, aujourd’hui réunis en un, de son ouvrage : Droit, législation et liberté — paraît au cours des années 1970.1 C’est également à cette époque — en 1974, pour être précis — que le théoricien du libéralisme moderne se voit décerner le prix Nobel d’économie. En conséquence, le succès actuel des idées néolibérales et « le cours pris par la globalisation » ne seraient-ils pas beaucoup plus redevables, au contraire, à la mise en œuvre de ces théories économiques libérales par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dès la fin des années 1970 et au début des années 1980, « qu’à la conversion de l’Europe de l’Est et de la Chine à l’économie de marché » ? On a, par ailleurs, beaucoup trop tendance à cantonner le néolibéralisme dans la sphère économique et à classer tous ses théoriciens parmi les stricts défenseurs de l’État minimum. En réalité, rien n’est plus faut. Wendy Brown, par exemple, rappelle fort utilement que « le néolibéralisme n’est [...] pas uniquement un ensemble de mesures économiques ; il ne s’agit pas seulement de faciliter le libre-échange, de maximiser les profits des entreprises et de remettre en cause les aides publiques. »2 La rationalité néolibérale, poursuit la théoricienne politique américaine, « consiste plutôt dans l’extension et la dissémination des valeurs du marché à la politique sociale et à toutes les institutions ».2 Dans la vision néolibérale, l’État n’est donc pas réduit au strict minimum, mais il est exclusivement au service de l’économie : « l’État doit obéir aux besoins du marché, que ce soit par des mesures politiques et fiscales, sa politique d’immigration, son traitement de la criminalité ou la structure du système éducatif. » 2 Aussi, les pires caractéristiques de la mondialisation néolibérale où notre juriste croit pouvoir reconnaître des emprunts au communisme — comme « la “démocratie limitée”, l’instrumentalisation du droit, l’obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés » — ne pourraient être en réalité que des traits propres aux rationalités néolibérale et néo-conservatrice. Le néolibéralisme n’a nul besoin d’emprunter, par exemple, la notion de « démocratie limitée » au communisme puisqu’elle fait déjà partie intégrante de l’idéologie néolibérale. Comme le fait d’ailleurs remarquer Alain Supiot lui-même : « Hayek a développé dans son œuvre le projet d’une “démocratie limitée”, dans laquelle la répartition du travail et des richesses, de même que la monnaie, seraient soustraites à la décision politique et aux aléas électoraux. » De plus, « à l’instar des néolibéraux, qui s’écartent du laissez-faire économique en recourant au droit et à la politique pour soutenir le marché et définir les objectifs sociaux, les néo-conservateurs sont partisans de l’étatisme : ils défendent un État qui légifère sur les questions morales, l’encadrement étatique de l’économie et, bien entendu, la puissance militaro-étatique ».2 Pourquoi les néo-conservateurs américains et européens iraient-ils dès lors emprunter chez les communistes les pires caractéristiques étatiques qu’ils partagent idéologiquement avec eux ? En somme, notre spécialiste du droit du travail avait tout à fait raison lorsqu’il affirmait, vers le milieu de son exposé, que l’« Europe est [...] en passe de réaliser les projets constitutionnels de l’un des pères du fondamentalisme économique contemporain : Friedrich Hayek. » — le fondateur du libéralisme moderne que l’on pourrait, sans grand risque d’erreur, considérer aussi comme un des plus grands théoriciens de l’économie néo-conservatrice de marché. Patrick Gillard 1 Friedrich A. HAYEK, Droit, législation et liberté, PUF, Paris, 2007, préface de Philippe Nemo. 2 Wendy BROWN, Les habits neufs de la politique mondiale : néolibéralisme et néo-conservatisme, Les Prairies ordinaires, Paris, 2007, pp. 49, 50, 52-53 et 110.
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