• ARTPRESS - Septembre 2007

     

    « Que je me repens rarement... »

     

    Il ne peut advenir icy, ce que voy advenir souvent, que l'artizan et sa besongne se contrarient : un homme de si honneste conversation, a-t-il faict un si sot escrit ? Ou, des escrits si sçavans, sont-ils partis d'un homme de si foible conversation ? Qui a un entretien commun, et ses escrits rares : c'est-à-dire, que sa capacité est en lieu d'où il emprunte, et non luy. Un personnage sçavant n'est pas sçavant par tout : Mais le suffisant est par tout suffisant, et à ignorer mesme. Icy nous allons conformément, et tout d'un train, mon livre et moy. Ailleurs, on peut recommander et accuser l'ouvrage, à part de l'ouvrier : icy non : qui touche l'un touche l'autre. Celuy qui en jugera sans le congnoistre, se fera plus de tort qu'à moy : celui qui l'aura cogneu, m'a du tout satisfaict.

    (...)

    Excusons icy ce que je dy souvent, que je me repens rarement, et que ma conscience se contente de soy : non comme de la conscience d'un Ange, ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un homme (...) Le repentir n'est qu'une desdicte de nostre volonté, et opposition de nos fantaisies, qui nous pourmène à tout sens. Il faict desadvouer à celuy-là, sa vertu passée et sa continence. C'est une vie exquise, celle qui se maintient en ordre jusques en son privé. (...) Si j'avois à revivre, je revivrois comme j'ai vécu. Ny je ne plains le passé, ny je ne crains l'advenir (...) Nous appelons sagesse, la difficulté de nos humeurs, le degoust des choses presentes (...) Elle nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisi. (...)

    Ce n'est pas un léger plaisir de se sentir preservé de la contagion d'un siècle si gasté, et de dire en soy : Qui me verroit jusque dans l'âme, encore ne me trouverait-il coupable, nu de l'affliction et ruyne de personne : ny de vengeance ou d'envie, ny d'offense publique des loix : ny de nouvelleté et de trouble : ny de faute à ma parole. (...)

    J'ay mes loix et ma cour, pour juger de moy, et m'y adresse plus qu'ailleurs.

     

    Montaigne. Les Essais.  Pléiade-Gallimard (cf. page. 64, la note de lecture de Jacques Henric)

     

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